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Trollage, Vietnam et Honda Dream
17 mars 2014

Xin chao Viêt Nam

20 000 dôngs

20 000 dôngs

Pour 40 000 dôngs : déjeuner de bureau, rue Lê Quy Ɖôn. Au menu,  riz, soupe de concombre amer, et porc au caramel.

“De la musique avant toute chose”, et un billet sur cette rengaine qui m'habite depuis que je baigne dans l'eau de la rivière Saïgon. Marc Lavoine savait-il qu'en confiant cette romance à "l'écrin d'innocence" qu'est la voix de Pham Quynh Anh, il complairait si pleinement au sentiment national vietnamien, remplissant encore utilement quelques objectifs subalternes ?

Et d'abord en évoquant ce “vieil empire”, nom emphatique affublé d'un honoris causa souvent attribué par souci d'exotisme aux pays d'Extrême-Orient. On entre plus avant dans le sujet avec l'évocation du film de Coppola, des hélicoptères en colère. En voilà une bonne soupe ! A Saïgon, la réclame touristique invite chacun à se rendre au musée des vestiges de la guerre pour y rendre son dernier repas, à acheter des contrefaçons de plaques de militaires américains disparus au combat, à visiter les salons dorés de la présidence de l'Ancien Régime corrompu (sans rire), à s'éclater sur un tube de J-Lo dans une boîte subtilement baptisée “Apocalypse now”, ou encore à se tortiller comme de vrais résistants dans les boyaux souterrains d'un parc d'attraction construit sur un ancien champs de bataille, pour, final triomphant, tirer au fusil-mitrailleur sur une cible en forme de chèvre. Euh, oui, de chèvre ! Emporté par le souffle de l'histoire, il s'en est fallu de peu pour que je ne passe à tabac le premier vietnamien vêtu d'un tee-shirt US army que je croisais un matin. Rapidement cependant, ils furent trop nombreux.

Mais il n'est pas de poème sur la mémoire, et c'en est un, sans évocation de l'”âme”. Il y a peu encore, je ne savais pas assez que ce mot prenait pour synonyme “authenticité”, une forme d'essentialisme qui devrait surprendre dans la bouche des jeunes en sac à dos que l'on croise en grand nombre en Asie du sud-est. Combien de voyageurs préfèreront le Laos à la Thaïlande au prétexte de l'authenticité supérieure de ses coutumes ? Parler du PIB, c'est moins hemingwayien. Mais que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre, oh Denis Brogniart !

Et voilà que j'atteins le coeur de l'ouvrage : “Les marchés flottants et les sampans de bois […] Les temples et les Bouddhas de pierre pour mes pères, [...] Dans la prière, dans la lumière, revoir mes frères ”. Cette laque bien nette percute frontalement la réalité qui lui roule dessus en Honda 100cc. S'agit-il des klaxons de 40 millions de motos, du concert de moteurs pétaradants des barques, sampans pour les spécialistes, qui déchirent la nuit du fleuve plutôt qu'elles n'y glissent, sur le chemin des marchés flottants ?

Ici, les bouddhas sont de ciment et les pagodes de briques, à l'image dumillénaire” temple de la littérature, restauré au parpaing et climatisé. Le mysticisme du pays trouve une belle expression sur le chantier d'une pagode gratte-ciel situé en rase campagne près de Ninh Binh et dont l'objectif affiché est d'entrer au guinness book au titre de la pagode possédant le plus long couloir au monde. Qui viendra y prier ? les bonzes équilibristes affiliés au Parti ? Les bigotes erratiques croisées aux détours des rues ? Les jeunes hordes de photographes smartphone, doigts en V ?

Et puis, sans prévenir, le texte touche la réalité avec ces“ femmes courbées dans les rizières pour mes mères” ou comme l'écrit Kim Thuy, dans son aimable Ru : toutes ces femmes qui ont porté le Vietnam sur leur dos [et qui] ne pouvaient plus redresser leur échine arquée, ployée sous le poids de leur tristesse.” Poncif lacrimal certes, mais qui illustre une domination masculine très réelle.

Et enfin, c'est la sortie de route. “Toucher mon arbre, mes racines, ma terre”, c'est sur cette ultime flatterie à l'esprit racialiste vietnamien que la romance finira bientôt, auprès de son arbre donc, mais loin de celui Brassens “dont on fait n'importe quoi, sauf naturellement les flûtes”.

Hymne national et dépliant touristique, Bonjour Vietnam est le véritable couteau suisse du régime ploutocratique vietnamien. Mais faut pas être bégueule, hein ! J'ai, moi aussi, écouté en boucle ce petit tire-larme exotique, jetant un oeil envieux sur le montage de cartes postales qui lui tient lieu de clip. Et c'était doux à mon coeur.

1000 dong sur un toit (640x480)

 

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