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Trollage, Vietnam et Honda Dream
11 avril 2014

La route de Dalat

200 000 dôngs

200 000 dôngs

Pour 400 000 dôngs : Un aller nocturne pour Kontum en autocar à couchettes avec bouteille d'eau, lingette citronnée et sketchs télévisés.

On prenait la Ford perfect tôt le matin. Le trajet durait toute la journée. C'était la campagne jusqu'à Bien Hoa, puis la jungle. En montant sur les Hauts-Plateaux, on croisait des villages Moï où on offrait de la nourriture aux chefs traditionnels. Mes parents nous disaient de fermer les fenêtres parce qu'il y avait des animaux sauvages...

- Des tigres ?

- Oui, par exemple ! Et ensuite, souvent, nous traversions des nuages de papillons...

Ainsi se présente le souvenir des mots de ma mère qui remontent, comme une bulle gazeuse, du fond de ma mémoire, des mots qui m'ont amené sans hasard vers ce pays littoral où les Hommes vivent compressés dans des plaines d'eau et des deltas promis à la mer, densité élevée qui se réalise en boîtes d'alumettes à usage d'habitation, ces compartiments chinois qu'on voit s'égrener le long des routes, dégradant, morcelant les paysages ruraux. Un pays ereinté par le profit sans lendemain : amères monocultures du café et de l'hévéa épuisant le sol et les sens, construction d'une centrale hydroélectrique au coeur du parc naturel de Cat Tien, et ces pains de sucre sur la plaine de Ha Tiên, collines grignotées par une gourmande entreprise de ciment. Sur la route de Dalat, il n'y a plus que des maisons peuplées d'une humanité regardant filer les bus qui klaxonnent et les aspergent d'eau sale. Il se passe ici quelque chose qui rappelle l'oeuvre animée de Hayao Myazaki : la fin poétique et violente d'un monde, le glas désespéré d'une manière d'habiter la terre.

Papillon (640x360)

Tissée de récits fantastiques et de géographie perdue, cette part de mon enfance est cecouteau planté en travers de la gorge, et alors que, réfugié dans la lumière calme de mon appartement saïgonnais, au hasard d'une lecture, j'accompagne Tianyi, le personnage principal, dans un car qui traverse la campagne hollandaise battue par une pluie, miroir de ma déception, le fantôme de Van Gogh s'adresse à nous :il y a un temps pour tout n'est-ce pas ? Un temps pour la souffrance, un temps pour la joie, un temps pour l'agitation, un temps pour la paix. Par-delà tout, il y a la vie qui s'offre en sa force débordante. Il y a la nuit étoilée d'Arles. Il y a la mer qui rit à travers les maisons basses des Saintes-Maries.” Alors j'enfourche ma moto et roule au hasard de cette ville rude dont il est mal aisé de dire autre chose qu'elle vibre ou qu'elle s'agite. Dans les hautes herbes du marécage de Th Tiêm, devant la skyline du centre-ville, je parcours une poche de brousse humide où nichent les oiseaux, se cachent des temples en cavale et s'animent des tripots clandestins sous le regard de quelques phénix, cerfs-volants du soir qui planent sous de vertigineux cumulonimbus. Quelque chose s'est enfin déplacé, et je peux alors me rappeler le brouillard qui s'étiole sur les cimes noires et hirsutes des montagnes du Hà Giang, découvrant gorges et flancs tissés de hameaux de terre, fendus de hautes cascades et crénelés du vert des rizières. D'autres lieux émergent : je suis celui qui regarde le café s'égoutter au retour des chalutiers sur la jetée d'un village dans la lumière oblique de l'aube. Plus tard, je goûte au clair soleil qui dessine des ombres sur un filet de chantier dont les mailles vertes ondulent, roulent et se rompent en sourires, découvrant le bloc de lignes brisées d'un immeuble, sculpture animée dans le ciel bleu de Vũng Tàu.

Je téléphone à ma mère. Je lui parle de la route de Dalat.

- On a vu la fin d'un monde, me dit-elle.

- Oui, peut-être.

Après cela, je crois que j'ai repris le chemin des Hauts-plateaux et, sur les quelques terrains pentus où les plantations de café n'étendent pas encore leurs feuilles sombres, dans les quelques vallées dont l'amont protège toujours des bois hostiles, j'ai vu de ces papillons qui volent par nuages au sortir des villages.

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